TEXTES CRITIQUES

 

Il y a des peintres dont les oeuvres semblent à l’évidence des prétextes à paroles.Leurs créations suscitent le commentaire et titillent l’intellect. N Viard n’est pas de ceux-là. Sans évoquer une peinture de l’évidence qui nous laisserait cois, il faut bien admettre que ces toiles ont trop d’allant et d’allure pour ne pas se suffire à elles-mêmes.

 Des visages interrogateurs des débuts, aux végétaux étranges qui les ont remplacés, jusqu’aux formes actuelles justes et pertinentes, l’oeuvre de N Viard parle toute seule.De rigueur, d’énergie, mais aussi de ravissement.

 Car il ne faut pas s’y tromper. Les tons amortis, les vibrations sourdes, les glacis élégants, constituent le rideau de scène d’une pièce qui se joue au plus profond . Il importe de voir ces formes des profondeurs de la toile, lentement, l’une après l’autre, émergées, comme en quête d’une respiration, la surface unie bouleversée de soudaines et vastes agitations.

 Se mêle alors à la pure contemplation de l’équilibre des masses et de leurs tensions, l’éveil à la rêverie et au souvenir fugace, comme le parfum des pétunias blancs.L’attention rivée, on a l’impression de plonger dans l’eau des songes, des bords du cadre au centre souvent décentré, de dériver vers une clarté infuse, surgissant du fond.

 La peinture de Viard, instinctive et cérébrale, aboutie et inachevée, est une invitation à la noyade heureuse.

Corrotti - Bastia 1991


 

 Pour découvrir l’exposition de N Viard, on traverse un étroit jardin…le foisonnement de plantes, de fleurs, de feuilles vertes et jaunes nous accueille , nous invite à entrer , annonçant la couleur chaleureusement.

 A l’intérieur, les formes qu’on vient de voir ont été fixées sur la toile, des feuilles vertes aux géométries inspirées, déployées, démultipliées, ou au contraire réduites, concentrèes sur l’essentiel, une ligne, un début de couleur. La composition faite de dé-construction et reconstruction , témoigne de l’art du peintre.

 Dans le même état d’esprit,un travail très élaboré sur des couleurs chaudes: du rouge, de l’orange, du violet, un peu de jaune. S’il subsiste ici et là une allusion figurative à la fleur, le motif a été délaissé pour permettre un approfondissement de la matière elle-même vibrante de sensualité rayonnante. Un tableau central peut être complété par un long rectangle sur la gauche, trois petits cadres superposés sur la droite, reprenant des thèmes du tableau central, comme des détails agrandis ou introduisant des notions nouvelles, variantes musicales du thème principal.

On devine que l’initiative de l’ordre choisi incombera à l’acquéreur de l’oeuvre..

 Parmi les  petites peintures à l’huile, sur des carrés modestes bien précieux, l’une d’elles attire particulièrement l’attention. C’est un carré violet, d’un violet profond, ténébreux où l’on plonge désespérément, la matière granuleuse captivant le regard pour le faire sombrer jusqu’au fond.Et du fond de l’ombre jaillit un rayon de lumière qui va s’élargissant vers le haut, gagnant en intensité et nuances de clarté: une évasion au sens propre, ..un épanouissement.

 Les oeuvres plus récentes, des encres, en blanc et noir, en gris, témoignent d’une recherche de sobriété, d’épures, de plus en plus assurées. Les formes, mises en question…s’animent littéralement. Il en naît un effet de profondeur, de vie en expansion

Genesa Cano


 

 D’emblée la peinture de N Viard séduit. On entre dans la lumière, on s’installe dans la couleur, « ce monde inépuisable, protecteur et enchanteur » nous dit-elle.Là on se laisse absorber par les pistes qui tracent, taillent ou s’évanouissent dans la surface que se disputent les pigments. Entre tension et sérénité, entre contraste des complémentaires et fusion délicate des tons, l’esprit s’abandonne au pur plaisir de la sensation. 

 L’artiste nous dit n’être guidée que par » le plaisir de chercher et trouver le ton juste ». Mais voilà, face aux oeuvres, peut-on la croire? N Viard revendique l’abstraction. Pourtant les oeuvres sont nommées…et la tranquillité de l’oeuvre est démentie par le traitement de la matière sur la toile. Dans les huiles, des empâtements, des rugosités abandonnées là, contrastent avec les minces pelliculages de jus qui laissent jouer dans l’oeuvre la trame de la toile. Dans la période plus récente ce travail gagne en intensité. A coté de l’huile et de ses contraintes apparaissent la liberté de l’acrylique, la discipline des encres en des associations complexes. 

 Mais de manière plus significative encore, entre la toile et les pigments s’intercale le papier.Toutes sortes de papier : lourds, goudronnés et gras, denses, solides, filigranés de coton gardant les meurtrissures des plis et des froissements; fins légers effrangés à la déchirure qui s’imbibe densément de couleur; granuleux épais, préservant au creux de leurs rugosités les pigments recouverts en surface par de nouvelles couches. Ce support…est le lieu d’une grande violence.Violence froide de la découpe au cutter, violence pulsionnelle de la déchirure, violence perverse de l’épluchage des strates. Mis en pièces, ce maroufle va renaître sur la toile dans d’autres combinaisons, pour d’autres équilibres. ..Les nouvelles couches tendent à reconstruire l’unité , à maquiller la violence, à faire naître l’oeuvre à la gloire de la couleur. La rigueur -la raideur?-se fait aussi moins sensible: restant fermement debout , cette peinture laisse apparaître une gestuelle qui s’arrondit , …Mais la matière continue d’exprimer la lutte sourde des pulsions: repoussée, aplatie, griffée, elle interdit de ne voir dans l’oeuvre qu’un calme miroir serein de la couleur. 

 Et puis il y a encore les polyptyques.Coupure imposée par le format?Mais alors pourquoi ne pas choisir une toile au format définitif ? C’est qu’ici la coupure prend un autre sens:chaque chassis affirme son identité mais l’oeuvre ne vit que dans cette contradiction assumée de la séparation qui fait naître, et de la fusion qui fait vivre. Forme où chaque toile apporte sa particularité pour faire jouer des complémentarités, des continuités.

 Pour moi, pas de doute: cette oeuvre parle de la condition humaine dans le bel optimisme de la liberté.

Après tout, N Viard est aussi philosophe, non??

Jean Barrot - La Rencontre, revue des Amis du Musée Fabre, 2000